Les chantiers navals :

Les Chantiers Navals de La Seyne-sur-Mer : Une épopée maritime

Les origines : La naissance d’une tradition maritime (XVIIe – XIXe siècle)

C’est au cœur du XVIIe siècle que La Seyne-sur-Mer, nichée dans l’écrin de la rade de Toulon, vit naître ses premières activités de construction navale. Les eaux profondes et abritées de cette baie méditerranéenne offraient un cadre idéal pour l’établissement de chantiers maritimes. À cette époque, de modestes ateliers artisanaux construisaient déjà des navires en bois, perpétuant un savoir-faire ancestral transmis de génération en génération.

La véritable histoire industrielle des chantiers navals seynois débute cependant en 1835, lorsque la Société des Forges et Chantiers de la Méditerranée (FCM) fut fondée par Philip Taylor, ingénieur britannique visionnaire. Cette date marque le commencement d’une aventure industrielle et humaine qui allait profondément façonner l’identité de La Seyne-sur-Mer pour près d’un siècle et demi.

L’âge d’or : Les FCM à leur apogée (1850-1914)

Dans la seconde moitié du XIXe siècle, les Forges et Chantiers de la Méditerranée connurent un essor remarquable. Le passage de la voile à la vapeur, puis l’avènement des coques en acier, transformèrent radicalement la construction navale. Les FCM surent parfaitement s’adapter à ces révolutions techniques et devinrent l’un des fleurons de l’industrie navale française.

Les ateliers s’étendaient alors sur plus de 24 hectares le long du littoral seynois. Les immenses cales de construction, les forges rugissantes et les ateliers de mécanique constituaient un paysage industriel impressionnant qui dominait la ville. Plus qu’un simple lieu de travail, les chantiers étaient devenus le cœur battant de La Seyne.

De ces ateliers sortirent des navires prestigieux comme le « Brennus », premier cuirassé entièrement français, lancé en 1891. La Seyne construisait alors pour la Marine Nationale française, mais aussi pour des marines étrangères, notamment russes et ottomanes. Les paquebots de luxe, ces « géants des mers » comme le « Lamartine » ou le « Cambodge », témoignaient du savoir-faire exceptionnel des ouvriers seynois.

À la veille de la Première Guerre mondiale, les chantiers employaient près de 3000 ouvriers, faisant des FCM le premier employeur de la région. Autour de cette industrie florissante, c’est toute une ville qui vivait, respirait et se développait.

Entre deux guerres : Adaptation et résilience (1918-1939)

La Première Guerre mondiale et ses conséquences économiques mirent à rude épreuve les chantiers. Pourtant, cette période fut aussi celle d’une remarquable capacité d’adaptation. La production se diversifia : navires de guerre, paquebots, mais aussi locomotives et ouvrages métalliques comme le pont transbordeur de Marseille.

Les années 1920 virent le lancement de navires mythiques comme le « Champlain » ou « l’Éridan », tandis que les années 1930, malgré la crise économique, permirent la construction de navires emblématiques comme le « Strasbourg », fleuron de la Marine Nationale.

Cette période fut également marquée par d’importantes luttes sociales. Les ouvriers des chantiers, organisés et solidaires, obtinrent des avancées significatives en matière de droits sociaux. Une culture ouvrière forte se développa, où la fierté du métier et la solidarité constituaient des valeurs cardinales.

Destructions et renaissance : Les années de guerre et l’après-guerre (1939-1960)

La Seconde Guerre mondiale porta un coup terrible aux chantiers navals. Bombardés massivement en 1944, les installations furent presque entièrement détruites. Ces heures sombres ne signèrent pourtant pas la fin de l’aventure. Dès 1945, la reconstruction fut entreprise avec détermination.

En 1946, les Forges et Chantiers de la Méditerranée cédèrent la place aux Chantiers Navals de La Seyne, puis aux Constructions Navales et Industrielles de la Méditerranée (CNIM). Cette période d’après-guerre fut celle d’un renouveau spectaculaire. Les chantiers se modernisèrent et se spécialisèrent notamment dans la construction de pétroliers et de cargos de fort tonnage.

Le « Bougainville », le « Louis Lumière » ou encore le « Jean Laborde » témoignèrent de cette renaissance. Les années 1950 furent véritablement une période de prospérité retrouvée, où les commandes affluaient et où l’emploi atteignit des sommets historiques avec plus de 6000 ouvriers, techniciens et ingénieurs.

Le crépuscule d’une épopée industrielle (1960-1989) :

Les années 1960 et 1970 marquèrent l’apogée technique des chantiers, avec la construction de navires toujours plus imposants et sophistiqués. Le savoir-faire des ouvriers seynois était reconnu mondialement. Les navires sortis des cales seynoises sillonnaient toutes les mers du globe.

Pourtant, à l’horizon se profilaient déjà les nuages annonciateurs d’une crise profonde. La concurrence internationale, notamment asiatique, devint féroce. Les chocs pétroliers de 1973 et 1979 réduisirent drastiquement les commandes de navires.

Malgré des tentatives de diversification et de restructuration, les difficultés s’accumulèrent. En 1986, les Normed (Chantiers du Nord et de la Méditerranée), qui avaient repris les chantiers seynois en 1982, déposèrent le bilan. Le 29 juin 1989 restera gravé dans la mémoire collective comme le jour où, après 154 ans d’activité ininterrompue, les chantiers navals de La Seyne-sur-Mer fermèrent définitivement leurs portes.

Cette fermeture fut un traumatisme profond pour la ville et ses habitants. Au-delà des 2200 emplois directement supprimés, c’est tout un écosystème économique et social qui fut bouleversé. La sirène des chantiers, qui rythmait depuis toujours la vie seynoise, s’était tue à jamais.

Mémoire et reconversion : L’héritage des chantiers (1990 à nos jours)

Après la fermeture, les installations restèrent longtemps à l’abandon, plaies béantes au cœur de la ville. La reconversion du site des anciens chantiers fut un processus long et complexe. Aujourd’hui, le parc de la Navale, les nouvelles constructions et le port de plaisance ont profondément transformé le paysage.

Pourtant, la mémoire des chantiers navals demeure vivace. Le Pont-levant, les grues préservées et la Porte des Chantiers témoignent encore de ce passé industriel glorieux. Le Musée de Balaguier consacre une partie importante de ses collections à cette histoire, tandis que diverses associations œuvrent pour préserver ce patrimoine inestimable.

Les anciens « métallos » et leurs familles sont les gardiens d’une mémoire collective où se mêlent fierté, nostalgie et sentiment d’appartenance à une communauté de destin. Dans leurs récits, on retrouve l’écho des marteaux sur l’acier, le grondement des forges et le fracas des lancements de navires.

L’histoire des chantiers navals de La Seyne-sur-Mer est bien plus qu’une simple chronique industrielle. C’est l’histoire d’hommes et de femmes qui, génération après génération, ont bâti des navires mais aussi une identité, une culture et une fierté. Si les chantiers ont disparu du paysage, leur empreinte reste indélébile dans l’âme seynoise.

Aujourd’hui, quand le mistral se lève sur la rade, il semble parfois murmurer les noms des navires d’antan et rappeler que La Seyne-sur-Mer fut, pendant plus d’un siècle et demi, l’un des plus prestigieux berceau de la construction navale mondiale.

Des hommes qui ont façonné l’histoire :

Philip Taylor (1786-1870) : Fondateur des Forges et Chantiers de la Méditerranée en 1835, cet ingénieur britannique visionnaire posa les premières pierres de l’aventure industrielle seynoise.

Marius Autran (1915-1998) : Ancien ouvrier des chantiers devenu historien local, il consacra sa vie à documenter et préserver la mémoire de la construction navale seynoise.

Les « maîtres-charpentiers », « riveurs », « traceurs » et autres détenteurs de savoir-faire exceptionnels qui, dans l’anonymat du labeur quotidien, ont bâti la réputation d’excellence des chantiers.

Des navires de légende :

– Le Brennus (1891) : Premier cuirassé entièrement conçu et construit en France, symbole de l’excellence technique seynoise.

– Le Strasbourg (1936) : Fleuron de la Marine Nationale française avant-guerre, ce cuirassé incarnait la puissance et le savoir-faire des chantiers.

– Le Jean Laborde (1952) : Majestueux paquebot de la ligne d’Extrême-Orient, symbole de la renaissance des chantiers après-guerre.

– Le Batillus (1976) : Avec ses 414 mètres et ses 553 000 tonnes, ce superpétrolier fut l’un des plus grands navires jamais construits dans le monde, témoignage ultime du génie technique seynois.

Ces navires, et des centaines d’autres sortis des cales seynoises, ont porté sur toutes les mers du monde le savoir-faire et la renommée de La Seyne-sur-Mer.

Depuis, plusieurs projets ont été envisagés :

Retour en haut